Portrait de Je.

Sep 28, 2023Arts & Litterature

Portrait de Je.

2002, par Georges Stroh

Sans miroir. Sans souvenir de mon visage présent. Chassant mon visage passé qui se superpose. Une photo d’identité surexposée pour me regarder. Alors me voilà, ou plutôt me voici. J’ai le front dégagé, rond, légèrement bombé, suffisamment bombé pour laisser croire à une possibilité d’intelligence. Mais pas assez pour un semblant de mongolisme, d’hydrocéphalie. Entre deux os. Mes cheveux très courts soulignent un style tendance. En réalité ils ne poussent plus. Sauf par les oreilles, par touffes difficiles à dissimuler. Tous les vingt huit jours chaque cellule de mon corps meurt. Cela ne se voit presque pas. Beaucoup des composants de mon portrait ne se voient pas. Aussi ai-je du mal â le faire. Mon front pèse dans ma main gauche lorsque j’écris. Le pouce est appuyé, étalé sur la tempe — la gauche — et l’index replié sur le front. Cogitation ou accablement, ce pèsement, comme le pied sur un tube dentifrice, fait sortir, du stylo qui prolonge la main, des suites de mots trop longues et des adjectifs trop résistants, étouffants. J’ai des narines normalement développées. Mes yeux, comme à demi fermés, s’étirent vers mes oreilles à travers ces replis que l’on voit aux vieilles tortues. Comme pour mieux entendre. Mes yeux étaient bleus. Maintenant ils se ternissent. Ils deviennent gris, lorsque je bois. Je me gratte volontiers l’oreille droite â l’invitation d’une touffe débordante de poils. Je le fais avec la main gauche puisque j’écris. Je coordonne encore mes mouvements, mais pour combien de temps ? Ma nuque naturellement inclinée vers l’épaule gauche, lorsque mont front n’est plus dans ma main, fait penser à quelque chose. Alors je pense que ce n’est pas forcément de la pensée mais de l’arthrose cervicale. Ainsi je me déforme lentement. Mes épaules ( j’ai aussi une épaule droite ), ont tendance à remonter vers mes oreilles. Je raidis mes bras pour les redescendre, car je crains de devenir sourd si elles venaient à les masquer. De mon nez descendent deux plis amers vers les commissures des lèvres. Pourtant, je n’en sens nulle amertume. Les jours de soleil ou les jours d’écriture, les deux plis amers semblent plutôt monter des commissures, vers mes narines pour s’y enfouir. Si je me vois en pied, sans lunettes, dans un miroir, ce qui n’est pas possible lorsque j’écris ( mais l’écriture n’est-elle pas le plus vrai des mensonges ), je me parais é-lé-gant ! Justement je cherche à ne pas l’être. Et je remets mes lunettes pour constater que j’ai réussi à ne pas l’être. Suprême élégance. Des lunettes. En accord avec mon front. Lorsque je ris ou je tousse, je mets ma main gauche devant la bouche pour étouffer le bruit. Ainsi je peux bailler. Je ne suis pas gaucher. Je le fais aussi avec la main droite. Lorsque je n’écris pas. Si non je me plante le stylo dans le nez. Je marche avec deux bâtons, Pas ici, en montagne. Mes jambes sont de plus en plus lourdes. Hésitantes. Je vais de moins en moins haut. Bientôt je marcherais avec deux bâtons au bord de la mer. Je nage encore sans bâtons, L’eau porte mon corps. A l’horizontale, c’est là que je suis le plus beau. Je n’ai pas d’autre miroir que celui du ciel. Justement, en flottaison sur le dos, je peu contempler mes orteils. Furtivement. J’ai des ongles qui s’incarnent ou s’effritent. Ils dégénèrent au bout d’orteils membraneux. Plus courte que l’autre, j’ai une jambe ! Je ne sais plus laquelle ! Peut-être les deux. Je ne parle pas de mes muscles fessiers. De profil, ils sont relâchés. Ceux de Brigitte Bardot dans » La Femme et le Pantin » étaient semblables. Vulgaire. Cela me désespère. Mais j’oublie mes jambes, mon visage, mon corps. Alors j’écris, j’écris. Avec la main droite.

Georges STROH
ATELIER D’ECRITURE DE L’U.T.L.A, PAU, le 17 mai 2002


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