Comme une envie d’étoile

Juil 11, 2023Arts & Litterature

Comme une envie d’étoile

par Georges Stroh


Là, sur la table de la cuisine, Magali a laissé, sur une petite soucoupe bleu marine, un oursin qu’elle avait ouvert. Les ciseaux à ongles aux pointes rouillées, encore là tout contre l’assiette. Ondoie autour de moi une odeur de goémon, de varech, humide de souvenirs décrépis ou s’infiltre la risée de mes envies.
Souvenirs d’un attachement qui remonte si loin qu’il ne serait plus que décrépitude? Là, sur l’étagère, une photo de Flossy, ma nouvelle petite nièce anglaise, Florence. Ses cheveux noirs comme de l’encre, jaillissent comme des piquants au-dessus de son visage aux petits yeux fermés, aux lèvres minuscules et pincées. Un échinoderme ! Pourquoi ne l’ont-ils pas appelée «Ursine» comme je l’ai déjà rebaptisé ?
Mes papilles nasales se dilatent, comme l’ombrelle d’une méduse palpitant dans l’eau tiède au-dessus d’un banc d’oursins. L’eau tiède et salée de la méditerranée ou nous aimions nous enfoncer avec mon frère. A la pêche aux hérissons de mer. Nous regardions par la fenêtre la frondaison du grand pin parasol. Nous guettions le mouvement de sa coiffure. Si elle ne frissonnait pas, alors le mistral été couché. La mer était bonne. Nous nous regardions triomphants. Puis c’est nous qui frissonnions. Le pin parasol nous montrait son tronc prometteur, encourageant, rugueux comme ces rochers chauffé par le soleil d’où nous allions plonger. Nous étions déjà en maillot de bain. Saisir nos grappins à manche de bambou, armés d’une vieille fourchette aux dents soigneusement recourbées était mené à cœur palpitant. Masques, tubas et palmes déjà dans les sacs à dos. En pédalant comme des fous, cageots sur les porte-bagages, nous étions vite au bras de mer entre le Grand Gaou et l’Île de la Tour Fondue. Je sens encore les filets d’eau enveloppant mon corps, les algues écartées par le grappin, les bulles quittant le tuba. Nous avions déjà en bouche ces étoiles de corail aux gonades rouges, orange, que nous annonçaient les étoiles de mer survolées. Étoiles de corail qui nous allument la bouche pendant les oursinades familiale. La pêche aux oursins était notre folie frémissante !
Dans d’autres criques, dans d’autres creux, entre bosses rocheuses et algues…nous nagions dans le plaisir. Maintenant il me reste sur la table de la cuisine, dans cette soucoupe bleu marine, l’oursin que Magali avait ouvert. La coque de ce hérisson de mer, ténébreuse, funèbre, noirâtre, est vide comme un ciel sans étoile. Sans l’étoile de corail qui aurait dû tapisser la paroi ténébreuse, funèbre, noirâtre, de cette caverne oubliée dans l’assiette. Je ravale ma salive. Les piquants acerbes pendent à ces flancs échoués. Ternes comme le rêve enfoui de ce qui était un élan fascinant que je ne retrouve qu’à peine. A travers ce sel de mer qui conserve aussi les souvenirs les plus saumâtres. La coquille de calcite est vide. Seul dans ma bouche surnagent des fraîcheurs de jeunesse aux goûts oubliés. A présent c’est un parfum d’iode qui s’envole du cratère de ce puits ténébreux où stagnent de souterraines cicatrices et de rayonnantes jubilations. Un parfum turbulent, enveloppe ces ombrelles palpitantes mes narines mes ailes.
Au pied des rochers en bord de mer, un sable granuleux, rugueux, scintillant, se glisse comme une marée, entre mes orteils étalés. Je m’enfonce lentement à la surface fripée et miroitante de la mer, frôlé par un léger vent de souvenance. Sous le soleil dont les rayons pénètrent doucement dans la cuisine, les carreaux de terre cuite chauffent ma plante de pied nue. Le soleil faiblit sous l’épaisseur de l’eau qui me recouvre et me caresse. Quelques galets s’entourent de la chevelure d’algues vertes vers lesquelles j’avance en apnée. Ma gorge se referme sur le goût du sel dont le nuage m’enveloppe, me pique les yeux et m’ôte des larmes. Une étoile de mer orange semble me fixer. Ses cinq branches pâteuses étouffent mon envie de la saisir.
D’un coup de talon qui me coûte, je remonte à la surface de la terre cuite encore tiède, au sol de la cuisine. Taraudé par tous ces oursins dont il faut que je parle, qu’il faut que j’agrippe, alors j’enfile mes pantoufles et je plonge vers une feuille de papier blanc qui flotte sur la table, en apnée de l’écriture.

Georges Stroh

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