Mes mythes
2008, par Georges Stroh
« Éclairage » de Laurent en bleu.
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Les parents ont vendu la maison de la pinède, trop peu ensoleillée l’hiver. De sa terrasse, on voyait l’éclat de la mer entre les troncs noirs des pins. Je flottais avec cette image aux odeurs d’algue, d’iode et de résine. Les déménageurs partis avec la dernière armoire bancale qui plus tard sera brûlée et les chaises longues qui traîneront sur d’autre terrasses, il ne restait plus de la maison qu’une chrysalide. Il m’avait été accordé de passer une dernière nuit dans la maison vide. Je flottais de pièces en pièces avec les fantômes des tableaux et des armoires insérés dans les lugubres papiers peints que les murs maintenant révélaient. J’avais tiré sur la terrasse la paillasse de feuilles de maïs laissée dans un cagibi et sur laquelle je passerai la nuit. Avais-je voulu être le dernier à vider la maison, comme on enlève le gésier d’un poulet préparé pour la cuisson ? La maison n’était plus qu’une carcasse abandonnée. Mais allongé sur la paillasse, les yeux fermés à la nuit percée d’étoiles, je repeignais de souvenirs les murs nus de cette coquille vide dans laquelle tourbillonnent encore des odeurs d’algue, d’iode et de résine.
Georges évoque ci-dessus la Villa du Mazet , sa 1ere maison d’enfance…
-2-
Ma tante, pour tuer une poule la saoulait d’abord à l’eau de vie. Elle la serrait contre elle comme si elle avait voulu que le volatile lui lèche le visage. Son âme de poule irait-elle au paradis des ivrognes ? J’étais fasciné. La cuillerée d’eau de vie dans le bec était vite avalée. Lorsque la poule chavirait de l’œil, avec des ciseaux à ongle courbes enfoncés dans le bec, ma tante lui sectionnait une veine sous la langue. La poule mourrait sans battre des ailes. La tête en bas, son sang s’écoulait dans une casserole posée au sol, avec un bruit de robinet faisant chanter le récipient. Mon oncle trouvait depuis longtemps ce type d’exécution « contre nature », et le reprochait à ma tante. Dans mon intime conviction d’enfant, je partageais ce point de vue, sans bien savoir ce qu’était « la nature » en cette circonstance.
Lorsqu’il fallut tuer le coq, ma tante imposa à mon oncle l’obligation de s’en charger. Pris au piège du « conforme à la nature », mon oncle avait allongé le cou du coq sur le billot à couper le bois, assisté d’un voisin qui n’en menait pas large et tenait les pattes du volatile. D’un grand coup de hache mon oncle lui tranche la tête, ou presque. Lâché par le voisin craignant que mon oncle ne lui tranche une main, le coq se précipita vaillamment, tête pendante, sur le chemin en laissant une traînée de sang derrière lui. Vaillamment, car il courait en battant des ailes tandis que sa tête se soulevait pour des cocoricos en spasmes avortés. Je lui courrais après sur les injonctions de mon oncle, tout en ayant très peur de ce coq fantastique qui laissait derrière lui tout ce sang et chantait une dernière fois à la gloire du soleil.
Histoire ci-dessus maintes fois racontées par Georges de sa Tante Madeleine et Oncle Louis-Paul, obligés pendant la guerre de s’improviser boucher ! Il a une dizaine d’années au moment de la mise à mort.
-3-
Lorsque notre Grand-père venait nous voir, il s’annonçait déjà sur la route à cinq cent mètres de la maison. Par une sorte de sifflement assez puissant produit par un roulement de la langue, situant l’émission sonore, timbre et hauteur, entre le tambourin et le sifflet de chef de gare. Nous courrions alors à sa rencontre, mon frère et moi, pour le retrouver sur la route et, dans un élan irrépressible, lui sauter dans les bras. Ernst, le jeune voisin, connaissait bien cet appel. Un jour, lorsque celui-ci retentit et que nous nous précipitions, Ernst nous arrêta un instant pour nous suggérer de dire à notre Grand-père un mot magique qui le réjouirait. Ernst nous apprend immédiatement ce mot et nous le fait répéter par prudence… En sautant dans ses bras, nous crions en chœur le mot magique à notre Grand-père. Celui-ci, souriant, nous donne à chacun une gifle cinglante : le mot magique « MERDE, GRAND-PERE ! », si dangereux à utiliser, était un gros mot !
Georges et René ont perpétué ce genre de blague en les rendant plus subtiles . Le Grand-Père ici c’est Vincent Baudoin le père de Maryse.
-4-
Ils aiment la restanque sur laquelle est bâtie la maison, ils aiment la maison et pourtant c’est l’enfer. Les escargots sont transférés de pots en boites par de petites mains maladroites mais décidées. Les limaçons arrachés aux fenouils sont écrasés les jours de colère par de petits pieds experts. Les capricornes sont chatouillés avec de longues pailles et enfermés dans des boites d’allumettes. Les cloportes déterrés sous les pierres servent à jouer aux billes. Les guêpes sont coupées en deux par les téméraires ou piégées dans des cloches de verre. Les mouches reçoivent des coups de tapette et ont les ailes arrachées. Les fourmis sont noyées une à une sous la pompe de la citerne. Les moustiques écrasés dans les chambres à coups de serviettes de toilette. Seules les cigales ont droit au respect de mes petits enfants, parce qu’elles parlent. Aussi leurs carcasses sont souvent l’objet d’enterrements pompeux. Mais chez ceux de ma famille, au fond de nous même, nous savons depuis longtemps que ce sont les fourmis qui vengeront un jour les insectes et qu’elles auront le dernier mot. Alors, comme Crusoë, lorsque je passe à coté d’une fourmilière, je la salue par une manifestation de respect intérieur pour que mes petits enfants soient pardonnés.
Sommes-nous pardonnés?
-5-
De grands trous de terre rouge éparpillés dans la pinède avaient été creusés par son propriétaire pour y planter des arbres. Le projet abandonné, leurs parois servaient aux fourmis à enfouir leurs fourmilières et aux aiguilles de pin à se mettre à l’abri du vent. Enfants nous y avons joué à cache-cache. Jusqu’au jour ou certains de ces trous furent remplis de lisier humain. Un été, des puanteurs de fosse septique se répandirent de jour en jour autour de la maison, chassant la senteur des pins. Le spécialiste appelé, un maçon du village, découvrant une fosse débordante se proposait de la vider, mais seulement en hiver, quand le froid réduirait les monstrueuses fragrances. Nous décidâmes mon frère et moi de vidanger nous même la fosse. Nos sœurs nous serviraient d’assesseurs. C’est-à-dire que, nos mains gantées étant réservées aux choses du caca, le rôle de nos sœurs se limiterait à verser, de temps en temps, quelques gouttes d’eau de Cologne sur nos masques, des torchons que nous avions fixés sous notre nez. Cette opération, bien sûr, devait se passer à une bonne distance de la zone de vidange pour ne pas importuner l’odorat délicat des assesseurs. La fosse fut vidée avec une louche cabossée, émaillée bleu des mers du sud. Mon frère allait renverser les seaux dans la pinède. En fin de parcours, par droit d’aînesse, j’étais descendu dans la fosse. J’avais jeté mon masque : le parfum de l’eau de Cologne était pire que celui des excréments. Dans une fosse, ou près de l’épicentre d’émanations merdiques, les odeurs nauséabondes disparaissent ou s’atténuent. Dans l’œil du cyclone les parfums de la pinède chantent et les cigales reviennent. Ce fut, sur les odeurs, l’une des premières expériences scientifiques de notre adolescence, conduite par nous même.
Georges, René, Anne-Marie et Denise en exercice de pleine conscience!
Georges Stroh