Posidonie.
2008, par Georges Stroh
Après un long temps passé à ressasser cette histoire, je me demande encore à qui son « adieu » était-il destiné ? S’adressait-il à moi …ou parlait-elle au vent ? Encore aujourd’hui je me le demande …
Elle aimait m’entrainer sur le sentier du littoral, l’ancien chemin des douaniers, ou se mêle à l’odeur de l’iode marin celle de la résine de pin. J’aimais me laisser faire. Parfois le sentier rejoignait le bord de mer ; alors, dans la descente, elle appuyait sa main sur mon épaule. Une main fraîche, enveloppante, aux doigts curieusement effilés entre lesquels ondulait une membrane de chair. J’avais rencontré cette femme, pour la première fois ici, au Cap Brun, dans cette petite crique aux galets recouverts de varech dans lequel elle s’enroulait pour se sécher. J’aimais la rejoindre entre les rochers. Elle me demandait de l’accompagner pour marcher le long de la mer. Ses pas étaient incertains, comme caoutchouteux. Je me souviens aussi, maintenant, qu’elle avait l’habitude de mâcher des poignées de posidonies fraîches arrachées au fond rugueux de la crique. Lorsqu’elle se relevait, les brins de varech collaient à sa peau. Elle me demandait de les lui enlever, et je le faisais avec lenteur, étonné par le contact glacé de son corps. Pourtant sa peau, scintillante de mille petites écailles de sel qui s’étaient cristallisées dans l’air chaud, me fascinait. Pourquoi alors n’avais-je pas osé lui demander de me laisser détacher les arapèdes et les bigorneaux qui restaient collés à ses aisselles glabres ? Je ne sais. Peut-être était-ce à cause de cet éventail de peau striée qui se déployait lorsqu’elle levait les bras vers le soleil. Ou peut-être était-ce, attachés à cet éventail, le miroitement des petits coquillages qui me troublait ? Lors de nos rencontres au pied des pins penchés sur la crique, elle ne quittait jamais ses palmes de plongée et portait à la main ses escarpins en peau de lézard. Lorsqu’elle s’aventurait à caresser la tête d’enfants jouant dans l’eau, aussitôt angoissées, les mères les rappelaient vivement. Elle ne me parlait pas beaucoup sauf pour me demander de marcher à coté d’elle. Je crois me souvenir qu’elle n’avait pas de genoux. Ses cheveux raidis par le sel, coiffés en râteau, portaient une ombre sur son visage qui permettait tout juste de deviner l’émeraude et le blanc de ses yeux ronds …
La mémorable après-midi de son évanouissement, le Mistral se levait. Elle m’avait entrainé là-haut, au bord de la falaise, appuyée sur mon épaule pour ne pas glisser sur les aiguilles de pin. Elle était enveloppée d’une sorte de chasuble verte que le vent plaquait sur ses jambes. Elle m’accorda la permission que je lui demandais. Dés que j’eus l’œil collé au viseur de mon appareil photo elle laissa glisser sa robe sur le sol. Elle enjamba une touffe de sauge collée à la roche par le vertige. « Adieu !» me sembla-t-il entendre dans un murmure aspiré par le vent. Son corps étincelant flamba comme un éclair. Elle s’était élancée dans le vide, avalant l’air de ses bras, et de ses jambes réunies en une traîne argentée. Elle plana un instant sur les vagues qui paraissaient la porter. Lorsqu’elle plongea et remonta dans l’écume blanche levée par le Mistral, pour disparaître ensuite, des marsouins bondissants dansaient dans son sillage.
Georges STROH
Décembre 2008