Je voudrais pas partir.

Sep 28, 2023Arts & Litterature

Je voudrais pas partir.

2003, par Georges Stroh


Je voudrais pas partir
Pour un très long voyage
Avant d’avoir connu
Sous les ailes d’un cygne
Une mer de nuage
Des indiennes sans âge
Au milieu des bambous
Des masques Bambaras
Grimaçants à Drouot
Avant d’avoir fermé
Les volets et fenêtres
Le robinet du gaz
Et tous les trous de rats

Je voudrais pas m’barrer
Au large des babines
Sans savoir si la mer
A des humeurs salines
A des odeurs de cul
Au large de Thaïlande
Se reniflant de loin
Si même à Disney Land
Baille une entrée d’égout
Un p’tit rat qui s’ennuie
Sans avoir essayé
Un casque colonial
Dans un salon Kenzo
Un palanquin doré
Porté par des poulets
Une chaise percée
Rongée par des ermites
Sans avoir fait claquer
Une paire de bretelles
Sans avoir mis mon nez
Au vent d’un dromadaire
Sans avoir fait pouët pouët
Avec une cornemuse
Sans avoir fait zin zin
Sur une balalaïka
Je voudrais pas partir

Je voudrais pas quitter
Sans connaître l’amour
Et les côtes d’Armor
Les plages de lisier
Rejetées par la mer
Je voudrais pas partir
Avant que de Aimer
Tout au bout d’une digue
Une belle bretonne ma dondon salée
A la digue dondaine
Tout bien roulée de noir
A la digue don don

Je voudrais pas partir
Avant que de tâter
Les seins de ma bretonne
Ses lèvres d’acajou
Ses mains ses pieds ses joues
Sa bouche sapajou
A la digue don doux
Ses paupières en valises
Ou mes baisers s’enlisent
Après demain dimanche
Sans qu’elle ait fait la roue
Avec sa coiffe blanche

Je voudrais pas m’tirer
Sans avoir chevauché
Les girafes pubères
Les éléphants en rut
Dans des prairies brûlées
Les palanquins dorés
Les arbres renversés
Frottés de gousses d’ai]
Sans avoir caressé
De quelque crapaud-buffle
Le dos de pneumopathe
Aux verrues éclatées
Sans avoir pu marcher
Dans les pas de la lune
Dessous l’ombrelle brune
Des pentes du grenier

Je voudrais pas m’tirer
Avant d’avoir usé
Des trottoirs sans rues
Les étrons enjambés
Des trottoirs sans chiens
Des églises sans troncs
Ou j’aurais voyagé
Dans l’encens et les ors
Tant de choses usées
A laisser dans le noir
Les décharges d’ordures
Les champs en mal d’aurores
Leurs nappes phréatiques
Les bois contaminés
Et ma salle à manger

Je voudrais pas m’tirer
Sans emporter ma cave
Dont les murs suintent encore
Le salpêtre des plombes
Ou les bouteilles se tirent
De derrière les fagots
Ou les taupes copulent
Dans les fleurs d’oranger
Ou les veuves velues
Apprêtent leurs filets


Invocation


Messire saint Christophe
Je voudrais pas partir
Sacré coquin d’bon dieu
Protège-nous des cons
Avant d’avoir goûté
Sur le bout de la langue
Messire saint Michel
Au corps de l’écriture
Je voudrais pas m’barrer
Sans avoir astiqué
Avec un soin extrême
Le fond de mon cercueil
Encore empli de vers
Je voudrais pas partir
Sans m’être déterré.


Georges STROH
ATELIER D’ ÉCRITURE , A PAU, le 07 /04 2003


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