Le soleil les a chauffé.
2000, par Georges Stroh
Le soleil les a chauffé depuis le matin. Brûlants, les galets roulent le long de mon dos. Je cherche exactement mon assise. Bras et jambes en étoile. Omoplates et lombaires, creux de la nuque, calés dans la chaleur de la pierre. A travers mes paupières fermées la lumière éclate. Le disque solaire repose en moi. Encore mouillées et parsemées de petites algues, mes mains serrent chacune un galet. Ma respiration s’apaise. Sous mes paupières fermées danse le fond marin couvert d’algues noires et de rochers vers lesquels je plongeais tout à l’heure. Une pêche aux oursins épuisante. Battement des palmes pour descendre. Porté par les filets d’eau froide frôlant mon corps, chaviré par l’apesanteur, repoussé vers le ciel à travers le miroir. Aux creux du sternum et des clavicules, je sens maintenant la croûte de sel épaissie par l’air chaud que renvoie la falaise de basalte dressée derrière moi. Sous mes paupières fermées des poissons lâchent des éclats métalliques. La queue barrée de noir, ils passent dans mes yeux et disparaissent dans l’éblouissement solaire. Le goût caoutchouteux du tuba pincé par les dents traîne encore dans ma bouche. Dans le gravier qui bouge, au gré des vagues venant mourir sur le rivage, mes talons s’enfoncent. Caresse du flux et du reflux de l’eau fraîche sur les pieds. Entre deux rochers, agité par le mouvement de l’eau, le sac gonflé d’oursins se dilate comme une méduse. Je l’entends crisser. Je pressens déjà l’odeur de l’iode et du corail des oursins ouverts avec les ciseaux. Mes paupières et mes mains se détendent. Maintenant mon corps est sec, sous les efflorescences blanches du sel. Il absorbe encore un peu de chaleur. Mes mains ont oublié le manche de la fouine et les épines d’oursins, les rochers velus et la transparence froide de l’eau. Seuls me restent encore dans les tympans ces craquements secs et sourds qui entaillent en profondeur le silence de la mer. L’air chaud vibre autour de moi. Mes paupières s’entrouvrent. Lourd comme un sac de galets, je reste collé au sol. Je vais pourtant tenter de me relever.
Georges STROH