Drame en style factuel (Exercice UTLA).
2015, par Georges Stroh
Un sentier raide, caillouteux et l’odeur du foin coupé, Elvire marche en tête. Les extrémités du foulard qui retient ses cheveux sautillent sur son sac à dos. Ses mouvements d’épaule plaquent au sol, derrière elle, les bâtons cloutés. Huang marche pieds nus, sautant de pierre en pierre. En dépassant Elvire il a tourné vers elle une tête congestionnée, au visage fendu d’une bouche écarquillée sur de longues rangées de dents. Un peu de bave aux commissures de lèvres coupantes. De grandes lunettes noires jusque sur les joues. Il dit à Elvire qu’il va repérer le mélèze six fois centenaire qu’il doit lui montrer. Il file en bondissant vers la falaise noire des arbres ou s’enfonce le sentier. Elvire fait tourner ses bâtons comme des hélices avant de les planter au sol dans les gerbes d’étincelles. Un énorme caca de chien. Un de ses bâtons s’y plante. Elle l’essuie soigneusement. Dans une touffe d’herbe, jusqu’à ce que le fer devienne étincelant. Elvire arrive à la clairière enserrée par les mélèzes. Elle respire leur parfum amer. Au sol, le sac à dos rouge de Huang. Des pas furtifs. Des craquements de bois mort. Elle se retourne. Huang, luisant de sueur, en slip, se jette sur elle. Il lui arrache son sac à dos. Autour du coup d’Elvire 11 serre et tord le foulard. Leurs râles se confondent. Les mains d’Elvire se crispent sur un des bâtons de marche. Elvire donne un coup de tête à Huang. Explosion des lunettes noires. Elle appuie sur le bâton dont le fer s’enfonce dans le ventre de Huang. Il est au sol. Le sang sort de ses yeux et de son ventre. Des morceaux de verre sont plantés dans ses orbites et dans des cicatrices purulentes qui lui rongent le visage. Elvire se penche au-dessus de lui. La cuisse rabattue sur la poitrine, les longues rangées de dents de la bouche écarquillée de Huang labourent son genou. Le slip ensanglanté. Elvire appuie du pied sur le tibia de Huang. Gargouillements. Le genou s’enfonce, s’enfonce dans la gueule ouverte. Le crépuscule enveloppe la forêt. Des frôlements entre chien et loup. Près du sac à dos rouge, un tas de viande sanguinolente au milieu de la clairière devenue grise. Dans le lointain, monte des hurlements. Chiens et loups. La lune s’est levée au-dessus de la falaise des arbres. Dans l’odeur retrouvée du foin coupé, Elvire a rejoint le sentier qui descend vers le village. Elle a essuyé la pointe des bâtons qui virevoltent au-dessus de sa tête. Elle enjambe une merde écrasée. Elle fredonne. Elle fredonne joyeusement : «Attirés par l’odeur du sang, Les loups vont entrer dans le bois… J’aime tan rire, charmante Elvire…Les loups ouhouh… ». Ne chante plus, presse-toi charmante Elvire. Cette nuit, à la retraite aux flambeaux, avec un foulard bien repassé, tu seras la mieux coiffée des majorettes.
Georges Stroh
ULTA, Pau, 16 janvier 2015